La Crise du Disque *

Le disque boucle son tour…



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Thierno M. SOW


16 décembre 08



Existe-t-il une bonne raison pour ne pas courir après Dieu,

sans doute, coure-t-il plus vite **.



A l’origine, nous voulions rédiger un article sur «l’avenir» du disque et le redéploiement de son industrie. Sur le fil, nous commencions à percevoir les recoupements de la problématique du disque avec celle de l’art en général avec une extension jusqu’à la pratique muséale au 21em siècle.

Concernant le disque, le raccourci frappant se trouve aux extrémités d’un long cheminement qui part de la records company, puis du home studio au home disque. En effet, une «maison d’enregistrement» ouvrait ses portes aux artistes les plus talentueux. L’idée de fixer sa voix ou sa mélodie sur une pellicule procurait un sentiment de reconnaissance et d’appartenance à une famille. Dans le terme «records company», c’est l’idée d’un patrimoine immatériel qui l’emporte sur celui de support. D’ailleurs, nous pouvons rappeler à ce sujet que les premiers appareils mobiles d’enregistrement furent inventés pour les besoins des archives du congrès américain et ont permis la fixation des premières bandes sonores du blues enregistrées dans le Mississipi.

Ensuite, le patrimoine devient un catalogue dont les droits de cession aiguiseront l’appétit des vendeurs de disque. Enfin, le SUPPORT, avec ses différentes déclinaisons (vinyle, etc.) finira par perdre de son éclat technologique au profit du FORMAT. En effet, le rôle des animateurs de radio a été pendant très longtemps déterminant dans la chaîne de production et de diffusion avant que le FORMAT ne vienne sceller le pacte de non agression entre les patrons des médias et les Majors. L’extension du concept de format se retrouve dans l’établissement d’un calendrier de production, de sortie et de promotion qui boucle définitivement les sociétaires et leurs œuvres dans un CIRCUIT avec ses hommes, ses femmes et ses codes. C’est ainsi qu’aucun musicien n’aura inventé nominativement de genre musical là où certains journalistes et producteurs l’ont fait à leur place et dans bien des cas à leur détriment.

Au début des années 1980, les plus grandes maisons d’édition se disputaient les parts de budget alloué aux grands compositeurs pour la construction de leur cocon de création. Le home studio permettait en dehors de son aspect pratique pour la réalisation des maquettes de tisser des liens particuliers avec son artiste. Il n’était pas rare de retrouver un éditeur ou un producteur dans le rôle d’hôte de son protégé. En effet, quel plus beau cadeau pour un éditeur que d’être, tel un témoin de mariage, la première oreille indiscrète, le complice de la parturition d’un chef d’œuvre. Puis la nature reprit très vite le dessus. En effet, que de millions d’euro ont fini au registre des pertes et profits des maisons de disque par la négligence d’auteurs qui n’avaient pas rendu les masters dans les délais prévus ou qui ne les ont toujours pas rendus. Le carnet des anecdotes enflait tandis que d’autres artistes s’engageaient sur la route périlleuse de l’édition et de la gestion. Au moment où le rapprochement entre RCA et ARIOLA donnait naissance à BMG France, l’appétit des artistes pour l’auto-édition était à son plus haut niveau. Dans les directoires des Majors, la question de l’avenir de leur propre filiale d’édition était désormais un objectif financier à court terme.


Un petit rappel historique


En 1998, l’industrie du disque réalise ses plus grands scores et expose fièrement la fraîcheur de leurs nouveaux catalogues qui épousent parfaitement l’air du temps: «black, blanc, beur». En effet, de 1986 à 1997 les maisons de disque réussissent à imposer sur la scène internationale le concept de world music. Brian Eno et le Talking Heads en seront les pionniers et les meilleurs artisans faisant par la même occasion de Londres la référence et la plaque incontournable pour des artistes comme Youssou N’dour (réécouter et réentendre le concert de Wembley avec Peter Gabriel).Cette capacité d’anticipation des maisons de disque sur les évènements sociaux reposait sur des "extraterrestres", ces individus qui portaient le titre bizarre de A&R (Artistes & Répertoires - à lire évidemment en Anglais). En effet, ces découvreurs de talent constituaient la pierre angulaire d’une maison de disque et leur familiarité avec les publiques et les espaces de diffusion ainsi que leur connaissance écrasante de la musique leur permettaient d’abuser d’un concept devenu tabou: le risque artistique.

Aussi, dans les années 1990 la prolifération de producteurs indépendants, suite à leur licenciement à la tête des Majors, a favorisé la démultiplication du modèle de standardisation. Rares sont en Europe les indépendants qui tentent encore d’impulser des contre pouvoirs et des alternatives au formatage. D’autres jeunes producteurs avec moins d’audience s’y essayent et les plus courageux et non moins talentueux peuvent voir leur génie vampirisé par le système. Les Directeurs artistiques les plus constants sont à trouver dans les départements jazz et musique classique. Ces labels sont peu nombreux mais se démarquent par leur forte identité. Il en est ainsi pour le moins polémique: ECM.


Revenir sur les vraies origines de la crise du disque


L’apparition du Viagra en octobre 1998 pourrait en être la cause, mais non! Lorsqu’en 1999, les négociations opposant BMG et WARNER pour le rachat de la maison d’édition EMI se sont révélées insolubles, il s’est produit un phénomène de paralysie générale de l’industrie du disque accentuée par l’apparition d’Internet et la menace que constituait à l’époque le bogue informatique de l’an 2000.La même année, Herbie Hancock invité d’honneur au MIDEM attirait l’attention des Majors sur les méfaits du Sampling et du téléchargement. En effet, sa composition «Cantaloupe Island» était devenue à son insu un tube planétaire grâce au génie d’un jeune DJ bien inspiré et H² (affectueusement) découvre la florissante économie souterraine qui s’étendait sous ses pieds. Seulement semblait-il ignorer à l’époque que cette manne nourrissait plus les maisons de disque américaines que les pauvres DJ dont la majeure partie n’avait même pas pris le soin de déclarer leurs Samples.


Pendant près de trois ans (1998-2000) les maisons de disque se sont observées en chiens de faïence préférant inonder le marché de compilations de leurs sociétaires ou de best of sur le thème original du «meilleur du 20em siècle ». L’apparition du site internet mp3.com et son succès immédiat dû à la libéralisation du format d’encodage du même nom vont contribuer à l’ensauvagement d’Internet encore vide de toute contrainte juridique. L’apparition des publishers ( Peoplesound par exemple) comme alternative au publishing traditionnel pouvait être considérée comme un commerce équitable sur Internet en ce qu’ils n’affectaient en rien les droits d’auteurs de l’artiste et qu’ils proposaient une ristourne de 50% sur chaque œuvre vendue. Mais l’absence de réglementation dans les premières années qui ont suivi leur mise en place a précipité leur faillite et leur disparition du paysage numérique.


En effet, La question qui était posée au droit était de savoir si le transfert de données pouvait constituer un délit. Or, l’argument des septiques reposait sur deux piliers en droit pénal: le caractère frauduleux et le changement de propriété. En effet, à partir du moment où celui qui télécharge accède librement à l’œuvre d’une part et que la copie n’altère en rien l’original, d’autre part, le délit de vol est disqualifié. Seulement, ce débat doctrinal opposait en réalité les tenants de la mise à mort de l’industrie des Majors et de leur pré carré aux disciples de Beaumarchais, face à cette nouvelle menace numérique insaisissable.


Il est vrai que l’apparition de nouvelles figures sur la scène musicale internationale et le caractère spontané et éphémère de ces stars constituaient aux yeux des puristes une vraie menace à la dimension critique des mélomanes et affectent inéluctablement la qualité de l’art musical. En effet, la nouvelle vague de directeur artistique très vite recadrée au département du marketing (où l’on travaille table contre table) est issue de l’industrie tout court. Les plus performants de l’année dans la vente d’automobiles ou de sandwichs pouvaient espérer faire un petit détour dans le milieu du disque, car après tout "un disque ce n’est qu’un emballage sous cellophane, plus ça brille plus c’est joli!". L’équation pour produire un album se résume-t-elle désormais ainsi: 25% de biographie + 75% de marketing et 5% de musique. Par conséquent, un nouvel artiste est rétribué exactement à hauteur de 05% à 08% pour 01 et 100 001 exemplaires vendus. Pour les biographies, les boys band auront leurs heures de gloire et finiront pour l’écrasante majorité à la broyeuse de stars.


L’accumulation de ces dérives privilégiant la performance coïncide avec l’avènement d’une finance internationale boulimique en produits dérivés avec un appétit particulier pour les fonds de retraite qui progressivement mettaient la main sur l’industrie du disque américaine. VIRGIN qui tentait de résister à la pression dû diversifier ses produits et réduire son ambition pour assurer sa survie. D’ailleurs l’entrée sur la scène politique de Chuck Norris est une preuve s’il en était besoin de la nécessité pour le label d’élargir son cercle d’influence.


Nous pourrions développer sur les labels en France et parler du rôle avant-gardiste de la maison d’éditions métisse musique, de label bleu, de MK2 music, de Naïve, de Delabels, de l’influence de V2 chez BMG France mais que serait l’industrie du disque sans Jaco Pastorius et Oscar Brown Jr. Ces deux noms suffisent pour comprendre toute la musique des années 1970 à nos jours; qu’il s’agisse du R’n’B, du Rock, de la Soul, du Rap et même du Jazz. Ces deux génies Oscar Brown Jr et Jaco Pastorius et dans une moindre mesure Leonard Cohen et Stevie Wonder ont inventé toute la matière première qui nourrit encore et artistes et maisons de disque. Ces deux génies ont structuré nos façons d’écouter et d’entendre et étendu les passerelles les plus solides entre toutes les formes de musique. Aujourd’hui, les producteurs artistiques devraient investir dans la recherche des nouveaux codes rythmiques qui vont nous réconcilier avec notre temps et nos turbulences humaines.


Deux choses seront fondamentales dans cette quête, la distance avec toutes les formes de techniques (audio, numérique et solfège) et le retour au live. Durant ces 20 dernières années, les artistes ont investi les gadgets et les maisons de disque ont gavé les mélomanes de plats froids. Certains disques faisaient leur apparition plusieurs années après leur enregistrement coupant le cordon ombilical entre l’artiste et son public. Pour la jeune génération, il suffit d’écouter l’émotivité de John Butler ou la crudité d’Ani Difranco pour confirmer que l’art est un vécu et non un projet.


Si nous avions un conseil à donner aux dirigeants de Majors nous leur dirions amicalement de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour désintégrer cette industrie. Le monstre est devenu trop gigantesque pour que le lifting et la chirurgie esthétique auxquels ils se livrent ne produisent des effets durables. Il faut tout casser! Les bâtisseurs se forgent d’abord à démolir !!!Les artistes n’ont aucun avenir dans le modèle actuel des maisons de disque. En effet, il fut un temps où il était impossible pour un artiste de porter son art à une aussi large audience, mais avec l’apparition des nouveaux médias et plateformes numériques culturelles la boucle est bouclée. Nous sommes passés de l’impossibilité d’être diffusés sans l’intermédiation d’une maison de disque à l’impossibilité d’être audibles sur les inforoutes bouchonnés de l’Art. En effet, la fumée numérique a occasionné une prolifération de musiciens sampleurs (génération garage band) tout azimut.


Par ailleurs, l’idée de faire financer la production par les fans constitue une double peine moralement condamnable en ce qu’elle fait assumer le risque artistique au public d’une part, et qu’elle réinvestit cette pitance dans le circuit habituel et le capital financier des maisons de disque, d’autre part. Il suffit, de retourner la manœuvre pour en dévoiler les failles. En effet, c’est comme si un musicien mettait en vente 100 000 disques vierges avec la promesse qu’il nous enverra au moment opportun les chansons qu’il a l’aimable intention de composer. Voici une invention digne pour succéder aux 33 et 45 tours, car dans ce prolongement c’est un vrai tour de magie. C’est bien connu, c’est le public qui nourrit son magicien. Ceci n’est qu’une reproduction du modèle de la pyramide de Ponzi ce que les wolofs appelaient bien avant: du «soul buki, souli bouki» -enterrer ici une hyène, en déterrer une autre ailleurs -.


Avant la mondialisation, les vrais artistes voyageaient et prenaient la peine de se visiter. Les sessions étaient la suite des Jam; car dans la quête de l’art et de la lumière il n’y avait que la veille bonne arène: le colisée de Platon, le verdict du fatal et de l’irrémédiable. Non! Nous ne parlons pas de la scène mais de l’arène.


Nous nous rappelons des scènes libres de l’Apollo Theater de New York, certains artistes préféraient renoncer plutôt que de soumettre leur carrière à la sentence d’un public intraitable et incorruptible. James Brown s’y est rendu pied nu, il en est sorti cordonnier et maître styliste dans l’art de déshabiller la musique de tout ce discours creux et vaseux qui enveloppe le non-art. Dans un autre registre, Mozart, Bach, Beethoven pouvaient composer des chefs d’œuvre de 66 minutes sans moyen aucun d’appuyer sur le bouton pause ou de se réécouter or, nos contemporains ont du mal à composer 06 minutes de musique malgré les 66 collaborateurs qui les entourent.


Pour notre plaisir et le confort de nos 6 sens, il y a nécessairement 66 cadavres de trop!

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T E N E T

      E

      Thierno M. SOW


*   Paper published by The UNESCO and The International Music Council :

    http://www.mca.org.au/mwn_story_f.php?6533

* * Extrait d’un roman du même auteur ; en cours d’écriture.