La Réforme de la Télévision



Comment donner une nouvelle forme à un carré?



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Thierno M. SOW


27 Février 09


Les prix sont faits pour ceux qui les donnent*.



Pourquoi le cinéma se fête à la télévision? En ce jour béni de la 34 em cérémonie de remise des Césars, cette question peut-être un début de réponse aux rapports qu'entretiennent la télévision, les arts, les cultures, les lettres, les pouvoirs et les audiences. Seulement tout ce beau monde se distingue en deux grandes masses le public du dedans et le public du dehors de la même boîte carrée que tout le monde souhaite voir sous une autre forme.

Si Kant, parlait de noumène et de phénomène (1) alors que faire d'un carré qui souhaite changer de forme? En effet, la philosophie ne nous est pas d'une grande aide face à cette équation. Pour conjurer le sort, Platon aurait peut-être mis au fronton de sa boîte télévisuelle: nul ne sort d'ici, s'il n'est géomètre (2).

Pourtant, le débat sur la réforme de la télévision repose sur un dilemme cyclique : celui de la télévision qui nous ressemble et celui de la télévision qui nous fait rêver.

Dans le premier cas, nous partons de l'idée noble et concentriquement acceptable que nous sommes des êtres cultivés qui méritent largement la belle image de qualité que la télévision nous reflète, tandis que dans le second cas, nous projetons dans un carré de cristal le reflet de nos désirs et de nos fantasmes les plus inavouables dont le plus partagé de tous est le divertissement. Dans les deux cas, de l'ange comme de la bête, ce dilemme nous renvoi à la métaphore du miroir: voir et se regarder bruissement.

Ainsi, la télévision connaîtra-telle plusieurs phases distinctives de son évolution et des problématiques liées à la notion de modernité. Tout d'abord, elle est la modernité en tant que symbole qui résiste et qui perdure et en tant que accomplissement, car elle reste néanmoins détenue et accessible qu'à un petit nombre d'individus. Ensuite, dans la phase de la télévision qui nous ressemble, la notion d'éducation voire de la morale occupe une place centrale dans la direction des programmes. Enfin, dans la phase d'un « rêve party », la télévision incarne la référence et le miroir tourne ainsi le dos à son public. La chose devient une affaire des « gens de la télé », une bourse des valeurs qui indique des références qui se mesurent aux exploits personnels, aux performances sociales et aux parts d'audience.

Cette mutation s'opère avec la dilution du politique dans le divertissement. Cette solution magique est appelée « peopolisation », car elle part du principe que les experts et conseillers en communication sont capables de percevoir de leurs studios de production et de leurs bureaux la demande que les publics chuchotent à leurs écrans de télévision.

A ces confidences privées et fusionnelles, les pouvoirs publiques apportent une réponse politique : « la démocratisation ». Or, la démocratisation est la traduction fidèle et dramatique de l'élitisme sous toutes ses formes. En effet, il ne s'agit point d'une télévision qui ressemble à son public, mais d'un public invité à prendre en modèle et à ressembler à une élite. Ainsi, la démocratisation devient une illusion d'une culture inaccessible. Dés lors, la télévision fabrique sa propre culture: c'est le modèle de la cabine d'essayage. En effet, le miroir est désormais placé derrière le rideau. Il devient tout à fait normal qu'un crétin sorte au bout d'une heure d'un plateau de télévision avec un chèque de 25 million de dollars remporté après trois épreuves entrecoupées de pages publicitaires et l'arrière-train toujours enfoncé dans une chaise.

La suite évidente est, que ceux qui font des riches soient riches en premier, à partir du moment où ils valent leur pesant d'audience. Ainsi, le monde de la télévision est né avec sa faune et sa flore et prend le terme, emprunt de modestie, de « Paysage ».

Le poids de la culture ou la part qui lui est réservée était le critère de détermination d'une télévision de masse. Or ici, la masse vaut sa masse. Alors la télévision devient une industrie lourde dont la matière s'apprécie en plasma: « plus c'est gros, mieux ça passe ». les fortunes s'y grossissent, les têtes et la bêtise aussi.

Dans le projet de réforme de la télévision nous proposons deux formes de solution qui répond à la problématique du miroir et de son rapport avec le temps (époque et durée) et avec l'espace (audience, publique-privé).

Du rapport au temps, nous proposons du flux frais: une plus grande couverture et diffusion de l'actualité quotidienne. Il s'agit de mettre en relation la presse écrite et la télévision de sorte à aller plus en profondeur dans le traitement de l'information. Il n'est pas impossible que la télévision ressemble tous les jours aux dispositifs et éditions spéciales mis en place lors des grands évènements politiques et culturels. La confrontation entre professionnels de l'information, spécialistes et chercheurs sur le théâtre des opérations est un supplément qui nous réconcilie avec notre besoin crucial d'analyse et de jugement. Ainsi la durée des émissions importent peu avec la mise en place des choix de rediffusion à la carte, via internet et d'autres canaux numériques.

Du rapport à l'espace, nous sommes pour le renversement du critère de l'audience. En effet, si l'audience constitue aujourd'hui l'espace de mesure de la télévision, il est évident que la dérive actuelle procède du rapport entre la qualité et la part de consommation. D'ailleurs, ce qui est curieux et symptomatique du malaise repose sur le fait qu'on ne mesure plus la consommation du flux par le public mais le nombre de public dévoré et mis en boîte par la télévision. Or, plus un produit devient élastique plus il perd de sa densité et de sa qualité. Par conséquent, le choix du plus grand nombre coïncide malheureusement avec un écrasement du critère de divertissement sur les autres. Ainsi, renverser le critère de l'audience, reviendrait à fixer un seuil d'audience qui met un terme à une production. L'audience marque ainsi la durée de vie d'une émission financée par les pouvoirs publiques. Cette contrainte jouera favorablement au rééquilibrage des critères artistiques, culturels et éducatifs c'est à dire de l'ennui et de la légèreté par rapport au divertissement et à l'abrutissement.

Bien évidemment, la question de la publicité pose le débat central du positionnement des chaînes publiques par rapport aux chaînes privées. Or, il faut se résoudre définitivement à l'idée que par principe, les chaînes privées ont pour vocation de se poser en s'opposant aux chaînes publiques. Par conséquent le mimétisme n'est pas une fin en soi tant qu'il s'opère de manière transitoire.

Ainsi, nous proposons pour mettre fin à la dialectique infructueuse de la pensée unique qui terrasse la pensée unique pour le bien de la pluralité, que chaque citoyen puisse faire le choix en allumant sa télévision d'accéder au contenu avec ou sans publicité. Ce plaisir adulte dont les seuls consentants peuvent en jouir et en abuser librement et en toute publicité.

Dans cet ordre d'idée, c'est le concept de chaîne publique et de chaîne privée qu'il serait utile de remettre en cause dés lors que nous savons tous que notre précieuse boîte est privée. En effet, si les contenus et les audiences convergent de plus en plus, il serait plus smart d'imaginer une interpénétration des flux audiovisuels. Par conséquent, les chaînes privées peuvent acheter des espace-temps pour diffuser leurs programmes via une chaîne publique et vice-versa (3). Ainsi, si une émission du service public venait à atteindre son seuil d'audience, le financement de sa prolongation peut être assuré par une chaîne privée.

Toujours dans la métaphore du miroir, il y a la certitude que si la télé se réforme, elle tend à se rajeunir et à prendre en compte la diversité de la société et si nous réformons la télévision, elle s'efforcera à grandir. Alors sommes nous prêts à faire le sevrage d'un bébé rectangulaire qui a près de 50 ans? Serions nous prêts à fêter le cinéma tout simplement dans des salles de cinéma?

Si comme Voltaire, il serait admis de penser que la télévision rapproche de nous « trois grands maux: l'ennui, le besoin et le vice » (4), Il nous restera toujours le sommeil comme opinion (5).



Thierno M. SOW



*Du même auteur


(1) Emmanuel Kant, Critique de la Raison Pure, 1781, 1787.


(2) Platon "mèdeis ageômetrètos eisitô mou tèn stegèn", cité par R.Baccou in traduction La République. Autres Réfèrences Elias et Jean Philipon.


(3) Il n'y a pas l'ombre d'un doute que le cabinet One-Zero Consulting est l'un des meilleurs analystes du monde et qu'il impulse les changements majeurs du 21em siècle. En effet, après TF1 et M6, c'est le Groupe Canal Plus qui vient de saisir toute la portée de cet article en rachetant Direct 8 et Direct Star. Ce que les Spécialistes considérent comme une révolution voire «un séisme dans le Paysage Audiovisuel Français».

Voir les références  :

"Canal Plus Buys Television Assets of Bolloré" By ERIC PFANNER. The New York Times. Published: September 8, 2011.

"L'entrée de Canal Plus dans la TNT provoque un séisme dans le PAF" Par Jamal Henni. La Tribune - 12/09/2011.

"Le rachat de Direct 8 et de Direct Star par Canal+ bouscule la stratégie de TF1 et M6" Par Guy Dutheil. Journal Le Monde du 10.09.11.

Extrait  : "Coup de tonnerre dans le ciel du paysage audiovisuel français. Canal+ a décidé de défier TF1 et M6 dans la télévision gratuite. La chaîne cryptée a annoncé, jeudi 8 septembre, l'acquisition de 60 % du capital de Direct8 et Direct Star... A l'occasion de ce rachat, Direct 8 et Direct Star ont été valorisées 465 millions d'euros pour 100 % du capital. La participation majoritaire de 60 % acquise par Canal+ est évaluée à 280 millions d'euros environ...Dominant sur le secteur du péage, un marché estimé à 4 milliards d'euros, Canal+ vient ainsi mordre dans les trois milliards d'euros du gâteau publicitaire de la télévision gratuite que se partagent majoritairement TF1 et M6. Le rapprochement des groupes Canal+ et Bolloré est le deuxième acte de la recomposition du paysage de la TNT. En 2009, TF1 avait racheté la majorité du capital de TMC et NT1 au Groupe AB de Claude Berda, valorisé 700 millions d'euros. Au bilan, les nouveaux entrants de la TNT, promus par le CSA en 2005, sont les premiers sortis. Désormais, NRJ 12, contrôlée par le groupe NRJ, et BFMTV, opérée par NextRadioTv, font figure de rescapées."


(4) Voltaire, Candide, 1759.


(5) Citation de Franz Wiener, 1877-1937.