L’Art et le commerce de la Coopiie

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Thierno M. SOW

08 décembre 08

Une définition de la culture :

Partout où il y a des hommes, il y a une ou des cultures ! Qu’on la nomme, qu’on la théorise, qu’on la réglemente ou qu’on l’ignore, elle existe !

Elle tient de ce fait sa quintessence et sa singularité dans ce qui nous distingue et nous réunit mieux que toute autre chose.

Elle est ainsi l’une des rares particularités humaine et universelle qui « ex-iste » avec ou sans l’autre et dans bien des cas malgré nous*.

Avant de traiter la question de la gouvernance des biens et des services culturels face à l’émergence des nouveaux médias il est absolument nécessaire de donner une définition exacte et précise d’Internet qui constitue sans aucun doute la composante centrale qui relie, telle une spirale, toute la créativité humaine au reste du monde.

Pourtant, son apparition récente et son développement exponentiel ont emporté la lucidité d’un grand nombre d’observateurs au creuset numérique où fusionne le monde. Or, cette virtualité qui nous distrait n’est ni plus ni moins qu’une bande organisée de caïds caoutchoutés et capitonnés de cuivre. Oui, hélas, Internet est tout simplement un ensemble d’espaces physiques interconnectés.

Vous prenez une chaîne de production selon le modèle de Taylor et vous demandez à chaque ouvrier de transmettre à son voisin le mot « abracadabra ». Si chaque citoyen s’insère dans les rangs, «le mot « magie » fera le tour du monde aussi rapidement qu’un mail (qui dans certains cas met plus de temps).

Ainsi, ce que nous appelons « la virtualité », peut être dans ce cas précis le rapport de la distance parcourue par un élément physique sur un laps de temps donné. La formule poétique qui correspondant à cette équation est :

v=l /t

Si l est la distance et t le temps, on retrouve ici le v de la vitesse qui épouse curieusement la valeur v de la virtualité et donc peut être exprimée en mètre par seconde.

Ainsi, Diogène nous aurait-il dit en langage clair et résolument simple que « la flèche qui part est au repos ! », puisque l’information s’affiche sur l’écran de son destinataire aussi instantanément que son expéditeur exécute la commande prévue à cet effet. Donc, c’est l’interconnexion qui aboutit à l’extension de nos environnements numériques de travail et de loisirs vers un  seul espace physique à l’image de deux internautes qui communiquent de part et d’autre d’un même écran.

Toutefois, ne confondons pas la virtualité d’un jeu vidéo qui ne produit aucun rapport au temps et qui en réalité n’est qu’une information finie tel un enregistrement sonore qu’il plaira à son utilisateur d’arrêter, d’avancer ou de reculer à sa guise.

Pourtant, la question de la gouvernance des biens culturels doit statuer sur le rapport entre ces éléments finis et leur circulation entre les différents espaces physiques interconnectés. Autrement dit, il s’agit d’organiser et d’arbitrer entre la création et le téléchargement, entre une éternité numérique de l’art : L’Internité et une nouvelle pratique de consommation : la netomanie.

En effet, le numérique permet à l’Art d’acquérir une éternité mais le commerce de la copie lui assure une descendance infinie. De cette relation découle la crainte qu’un commerce sauvage et non protégé le rende stérile.

Le Commerce de la Copie ou les insuffisances de l’Economie de la culture

L’émergence de ces nouvelles formes d’expression du pouvoir, celui pour l’art de satisfaire l’infini, celui pour le droit d’anticiper le fait social et celui pour le consommateur de jouir de l’anonymat, n’est pas sans conséquence dans le déséquilibre que pourrait provoquer au sein de la société l’absence de régulation voire de gouvernance.

En effet, la crise financière mondiale nous rappelle que toute forme de modernité nous est nocive sans l’adjonction d’une clause de responsabilité. Or, la difficulté dans la définition des responsabilités respectives réside dans le fait qu’il n’existe dans le cas en l’espèce aucune frontière étanche entre ces trois nouvelles formes d’expression du pouvoir. De fait, la pratique artistique sur internet est un droit qui ne pourrait s’opposer au droit de jouir de l’art tandis que la prévision modélise de plus en plus le droit vers une législation de l’anticipation et donc de l’émiettement du principe de la présomption.

Ce climat de suspicion crée une tension entre les différentes parties qui aboutit à un boycott des produits artistiques physiques comme une forme de représailles des netomanes. En effet, toutes les études menées jusqu’ici ont prouvé que les œuvres les plus téléchargées sont par ailleurs celles qui réalisent le plus grand chiffre de ventes en rayon. Ce dilemme mathématiquement insoluble renvoie à la psychologie du mélomane et de son rapport avec l’accoutumance. En effet, plus le mélomane consomme de musique plus sa dépendance s’accentue or, le seuil de satiété  devrait correspondre à un appauvrissement voire une perte de valeur du bien consommé.

Cette particularité du produit culturel semble se vérifier avec l’émergence des nouveaux médias et doit être pris en compte dans toute politique d’incitation à la consommation et dans toute politique de régulation de l’art numérique. Enfin, jusque là nous savons tous que la statistique culturelle n’est qu’une forme de critique numérologique des effets de l’art.

En effet, les conclusions de l’économie de la culture ne permettent d’assoir aucune politique culturelle viable et constituent encore moins une source d’inspiration et de créativité artistique. L’erreur fondamentale de l’économie de la culture réside dans le principe que l’évaluation qualitative et quantitative des pratiques de consommation permet d’isoler et de déterminer les caractères distinctifs du produit  culturel or, l’artiste qui crée ne se souci guère de cette post-relation mercantile. Au meilleur des cas cette préoccupation est celle des intermédiaires (maison de disques, diffuseurs, agents etc.). Il aurait été ainsi plus judicieux de parler du commerce de la copie ou de l’économie ramifiée de l’art. En effet, tel le tronc d’un arbre, « l’art » se passe volontiers, selon les saisons, de ses feuilles de ses bourgeons voire de ses branches les plus solides. Dès lors que le pommier se moque du caractère sacré de la pomme et de son devenir, en quoi la consommation permet d’expliquer ou de favoriser la création ? D’ailleurs l’économie de la culture est résolument prompt à reconnaître le caractère particulier du produit culturel par rapport à la science économique ce qui en français veut dire que l’art échappe totalement à son entendement.

Par conséquent, la question de la gouvernance des biens culturels face aux nouveaux médias interpelle le droit sur le terrain d’une sociologie du nomadisme moderne et de la nécessité d’une nouvelle hiérarchisation de l’art au sein de la société.

Partant de la définition d’Internet comme étant un ensemble d’espaces physiques interconnectés, nous simplifions la problématique juridique sans prétention aucune de la vider de toute contrainte ou de la résoudre de manière définitive.

Ainsi, de nos recherches approfondies nous avons dégagé deux pistes de réflexion pour résoudre le problème du téléchargement des produits culturels sur Internet. La première solution répond à l’exigence de norme et la seconde à la liberté de l’artiste de jouir et de faire jouir de son œuvre.

La licence Input

Comme pour toute forme de commerce, l’exercice d’une profession nécessite dans une société moderne et organisée une autorisation préalable délivrée par les autorités compétentes. Or jusqu’ici la fumée de la virtualité ne nous laissait pas entrevoir l’aspect physique d’internet comme nous l’avions défini plus haut. En effet, si Internet est un ensemble d’espaces physiques interconnectés, toute personne disposant d’un espace ou d’une vitrine doit nécessairement posséder une autorisation d’exposer ses œuvres à fortiori celles d’autres créateurs et ayants droits.

De ce fait, la licence Input est une autorisation de commerce de biens culturels nécessaire aux fabricants de logiciels et aux propriétaires d’espace web sur internet.

Ainsi, une licence Input, délivrée par une autorité de régulation aux propriétaires de sites Internet et aux fabricants de logiciels moyennant finance, permettra à ces derniers de distribuer comme n’importe quel commerçant de l’avenue des Champs-Elysées l’œuvre d’art de son choix.

Les propriétaires ou les ayants droits de chaque œuvre peuvent autoriser en accord avec leurs éditeurs le droit d’exposition restreinte à quelques sites et logiciels ou ouverte à tous les titulaires d’une licence Input.

A partir de ce moment, la présence d’une œuvre sur un site internet ou dans un logiciel non licencié peut être considérée comme une violation du droit d’exposition numérique.

Les plus âpres défenseurs de la liberté sur internet pourront convenir avec nous que l’ouverture d’un commerce sur la voie publique doit être organisée et par conséquent si internet est un espace publique toute exposition d’art et tout commerce doit d’être également encadrés.

Ceci n’empêche nullement à un citoyen d’exposer ses propres idées ainsi que ses propres œuvres sur internet.

La loi du déclassement

Le droit d’auteur actuel s’applique même contre l’auteur d’une œuvre. En effet, à l’exception du droit de repentir réglementé dans le monde entier pour permettre aux créateurs de revenir sur des engagements d’exploitation de leurs œuvres, un auteur ne peut pas empêcher la production d’effets juridiques et pécuniaires dés lors que son œuvre est exploitée. De manière schématique, l’artiste qui produit un navet dont il est peu fier, verra ce navet lui être attribué jusqu’à 70 ans après sa mort et mieux il continuera de percevoir les fruits que ce navet aura produit.

De ce fait, le droit d’auteur est codifié envers et contre son auteur. Or, l’impossibilité pour un auteur de rendre l’exploitation de son œuvre gratuite de son vivant et jusqu’à 70 ans après sa mort nous semble être par le bon sens une atteinte à la liberté fondamentale de celui-ci : la liberté de faire exister son œuvre en dehors du circuit normal de commerce et de distribution tout en gardant pleinement ses droits moraux sur celle-ci.

La loi du déclassement vient dés lors apporter une réponse conséquente à ce dilemme en permettant à un auteur de fixer la condition temporelle ou le seuil à partir duquel l’exploitation ainsi que le téléchargement de son œuvre deviennent gratuits.

Dans une étude de cas, un artiste peut décider qu’au bout de cinq (ans) d’exploitation d’une chanson lui appartenant, celle-ci tombe dans le domaine public. Il peut également fixer un seuil de vente de X exemplaires à partir duquel son exploitation devient libre de droit.

Cette liberté coïncide avec l’émergence des nouveaux médias comme internet où l’utilisation libre et gratuite constitue dans bien des cas un tremplin décisif dans la promotion d’une œuvre et dans l’émergence et la carrière de nouveaux talents. Aussi, les détournements de projets artistiques sont des sources de créativité et révèlent d’autres types de formats qui ne peuvent exister et survivre que dans ces espaces physiques interconnectés.

Ces deux pistes de réflexion sont des contributions au débat et ne se posent ni ne s’opposent aux multiples projets en cours d’élaboration au sein des directoires politiques. Les rapports émis à ce jour ainsi que la problématique de la sanction ne nous semblent pas suffisants pour enlever la suspicion et la crispation qui constituent toutes les deux des obstacles à la créativité et au bon accueil de l’art auprès des amateurs.

Au-delà de l’art, c’est la question fondamentale du rôle d’Internet comme une réincarnation du cheval de Troie d’Ulysse au sein des économies mondiales qui est posée. Or, la percée d’Ulysse réside plus dans l’intelligence qui l’a façonnée que dans le danger qu’il représente. Ce qui veut dire autrement que les solutions pour le contenir sont à trouver dans notre capacité à ériger d’autres références, morales et intellectuelles sur la notion de propriété, basées sur une éducation solide, flexible et ouverte sur les sociétés du monde plutôt que dans les contraintes financières, corporelles et juridiques ou dans les barrières électroniques et physiques.

Par ailleurs, dans le débat central de la place de l’art face aux nouveaux médias, il y a un penchant inconscient pour les artistes et les professionnels de brandir la menace du téléchargement comme une atteinte à la culture dans sons sens premier. Or, les difficultés de l’art et de ses créateurs ne peuvent en aucun moment atteindre la CULTURE au sens large. En effet, selon les artistes une politique culturelle est toujours liée à une surproduction d’événements artistiques tout azimut : plus il y a d’expositions, de concerts de cinéma et de productions théâtrales plus la culture se porte bien. Cette conception d’une politique culturelle est totalement fausse mais hélas largement répandue. Les défis de l’art au 21em siècle face aux nouveaux médias et aux nouvelles pratiques de consommation doivent être entendus comme de nouvelles sources d’inspiration et de créativité en soi. L’art ne s’opposerait pas à la nouveauté et les nouvelles pratiques nous révèlent une autre culture « numérique » à adopter. Dans l’hypothèse que ces nouvelles pratiques prennent le dessus, elles viendront confirmer pour cette nouvelle aire comme pour celles qui là précèdent que l’art ne résume pas la culture. D’ailleurs l’absence de l’art dans une société est-elle une preuve suffisante de sa non-civilisation ?

BitchesBrew !!!

 

Thierno M. SOW

 

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